lundi 19 septembre 2011

Genius Loci, de Véronique Caye

Genius Loci fait partie de ces rares moments où l'on se dit que croire au miracle n'est pas si bête.


Un peu moins de 40 minutes suffisent à Véronique Caye pour distiller sa magie au cœur de l'église à moitié détruite de la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon.
Le spectateur, après avoir déambulé en comité restreint (une quarantaine de personnes) devant les anciennes cellules de l'édifice est conduit dans cette chapelle - le chœur des pères - dont l'extrémité s'est effondrée. Et c'est justement sur cette extrémité, déjà à la frontière de deux mondes qu'il est invité à s'asseoir, sous le ciel naissant, face à ce qui va devenir théâtre d'ombre, de son et de lumière.

Révélateur

Au départ tout est noir, on parvient à peine à distinguer l'architecture du lieu. Puis des bruits de pas. On ne parvient pas - il fait sombre - à distinguer si oui ou non quelqu'un marche devant nous. Puis la voix de Véronique Caye qui résonne dans le lieu, nous expliquant comment, depuis sa résidence, elle a effectué le chemin que nous venons de parcourir, tous les jours, en se questionnant sans cesse sur l'Histoire qui pèse sur ces pierres. Tout ce qu'elles ont pu voir, ces pierres, tout ce qu'elles ont pu entendre.
Puis de la lumière sur ces murs nus. D'abord en contours des lignes porteuses de l'architecture, puis tout un paysage qui se révèle à l'allure d'un polaroid et qui vient orner cette pierre, comme pour en faire éclater son histoire passée. Ô magie, nous voici face à la parfaite restitution de l'église, telle qu'elle l'était au XVIIIème siècle !
Et pendant que ces images fantomatiques vont et viennent à leur gré, apparaissant et disparaissant comme le ferait un fantôme (le génie du lieu ?), un paysage sonore est diffusé à l'aide d'enceintes savamment dissimulées, tout au long de la représentation, liant musique, lecture de psaumes, et effets sonores qui résonnent tour à tour, se portant garant de ce que l'on a certainement pu entendre au fil des siècle dans ce lieu sacré.

Mathématiques

Véronique Caye a travaillé pour sa mise en espace en étroite collaboration avec le laboratoire de recherche MAP-GAMSAU, spécialisé dans la restitution 3D de l'architecture, ce qui a permis de rendre des effets visuels jusqu'alors inédits. En effet, pendant la représentation, on assiste sans que rien ne bouge à l'élévation spectaculaire de la structure entière, illusions d'optique basées sur la déformation de la projection en fonction du temps, afin d'utiliser le relief de l'architecture comme toile de cinéma plane. Il n'y a donc aucune anamorphose du point de vue du spectateur. Le rendu est tellement saisissant qu'on en oublie qu'il s'agit d'une simple projection.

Modeler l'invisible

Dans ce spectacle, le fil conducteur n'est pas l'image - du moins ce qui relève du visible - mais l'immatérialité du son. Véronique Caye vient chambouler l'habitude du spectateur qui se laisse porter, aveugle au départ, par les ondes sonores de l'oralité. Cohérence totale, donc, pour parler de ce qui n'est justement plus de l'ordre du visible ! Mais dans ce lieu, où finalement on finit par se faire absorber complètement par le fictif (projections, enregistrements...), un acteur surgit furtivement. Graine tombée d'un arbre en pleine floraison, la silhouette noire tend le bras vers nous le temps d'un psaume sur ce plateau au décor en mutation constante, et vient redonner un coup à la frontière virtuelle entre passé et présent qui nous tourne autour et nous étreint depuis le début.
S'agit-il d'un revenant échappé du passé qui nous invite à replonger totalement avec lui dans ce qui a été, ou est-ce un acteur venant nous rappeler que nous sommes toujours bel et bien en 2011 et qu'il faut se souvenir de l'instant présent ?! Pas le temps d'y penser que la personne a déjà disparu, nous laissant témoin d'un magnifique et poétique tableau final aux airs de constellations et d'immensité venant sceller cette fenêtre sur le passé. Face au cri de la pierre prise comme témoin des âges, on reste en haleine au pieds de murs blancs livides, sans que personne n'ose bouger, de peur de briser cette brèche fébrile qui s'est ouverte entre les temps.

On en sort finalement frustré de n'avoir pu partager cette émotion si forte - gravée dans le cœur des pairs - avec d'autres, mais c'est aussi ce caractère intime qui lui confère sa force et son sacré. Quoi qu'il en soit, on est convaincu d'avoir assisté à une merveille, hic et nunc.


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